LE RECRACHEMENT DES DOUBLURES...

 

TEXTE DE JOSÉ GALDO

PRÉFACE ET DESSINS DE NICOLAS ROZIER

MISE EN VOIX DE JEAN-PIERRE ESPIL

 

 

 

 

[...] Va-t-on nier longtemps encore la condition étranglée et vraie qui fait écrire José Galdo et le rang fatal qui lui revient? Pour lui, toute l'écriture n'est qu'une berceuse empoisonnée qui s'hypnotise en de baveux enlisements, quand quelque chose doit sauter tout de suite, sans délai, sans débat, sans préambule, sans tour de chauffe, pour donner aux bontés leur langage de sanctuaire, cette chute éperdue dans la matière galvanisante, cette invention dévolue à l'acharnement enragé, à la dilatation d'une hyperbole de grandeur qui avance, celle d'un ravage qui a la cadence haineuse d'une charité survivante à tous ses massacres, ce véhicule, ce vaisseau de haine et de hargne qui va droit à l'amour de combat, sans différer ce qu'une note laborieusement tenue ne sait que relâcher en fin de compte [...]

Extrait de la préface au recrachement des doublures

Nicolas Rozier

 

JOSÉ GALDO, UN SOLEIL NOIR

Il appartient au poète de dire l'être autant que le non être. Nous savons depuis Antonin Artaud et Stanislas Rodanski que le néant a partie liée avec la vie et que de cette conjonction naissent des œuvres sans complaisance avec la pose. Il ne s'agit pas pour José Galdo de faire affaire avec l'apparence ni de réaliser l'acceptable. C'est dans le refus que se joue son combat avec la mâyâ. Une distance adoptée de longue date au risque de l'invisibilité. Mais la poésie qui se veut un exercice d'exactitude est insoumise. Elle se moque qu'on la reçoive ou qu'on ne la reçoive pas. Elle est. Seul le temps agit pour qu'on vienne à elle. Ainsi, dans ce monde qui serait obscur, c'est à peine si l'on entrevoit les silhouettes debout de Francis Giauque, de Gérald Neveu, de Roger Gilbert-Lecomte, morts et cependant vibrants de lumière noire. Et c'est à juste titre que Nicolas Rozier, dans son introduction au Recrachement des doublures, signale ces noms comme les alliés de José Galdo, tous compagnons de clartés aveuglantes, tous spectres éblouissants.

"Le trou noir qui s'étoile dans la cavité de la vie" est précisément le passage par lequel José Galdo nous invite à entrer. Pour autant que l'on consente à certains soulèvements, à des signes qui annoncent une révolte contre la naissance, à des tensions, à des cris dont on ne sait s'ils viennent d'ici ou d'un là-bas indescriptible. Or ce n'est pas le monde de Van Gogh ni même celui de Lovecraft auquel nous sommes conviés. Il n'y a pas construction. C'est le jaillissement d'une conscience qui se sait doublée.

Le double en littérature renvoie généralement à Hoffmann, à Chamisso voire à Stevenson et c'est alors l'imaginaire en marche, le pouvoir de l'imaginaire et ses capacités à dupliquer des fantômes, à multiplier l'être dans des étoffes plus ou moins saisissables. Pour José Galdo, il n'y a pas d'invention possible mais l'imposture des succions de l'autre et cette figure de vie qui vient prendre la place du néant. Jamais depuis Antonin Artaud, nous n'avions lu (et sans doute entendu) pareille clameur, semblable détonation. Peut-être parce qu'Artaud, ou plutôt l'infinie dissection du corps d'Artaud, est devenu l'objet vaste, l'objet suffisamment vaste pour qu'il nous empêche d'atteindre les poètes actuels, pour qu'il recouvre de son cri tous les cris et écrits de ceux qui aujourd'hui se débattent avec le verbe, le néant et la chair.

Le livre est noir et magnifique, soutenu de noir par les dessins de Nicolas Rozier (auteur de l'espèce amicale chez Fata morgana, fédérateur d'un récent Tombeau pour les rares publié aux éditions de Corlevour) scintillants, saisissants. Et il est l'occasion d'une prise de contact immédiate avec celui qui depuis son premier recueil paru en 1974 n'a jamais dévié. Il continue vaille que vaille, de "bris de signes" en "soulèvement des cages", à émettre "la langue écrasée dans ses doublures vides".

Guy Darol, le Magazine des Livres, n°29, avril 2011.

 

 

 

Deux portraits à l'acrylique sur vélin ivoire, (2011)